Pandémie : tous les risques ne se valent pas

Sylvain Ribes
7 min readNov 7, 2020

Fuir certains risques plutôt que de les accepter peut faire plus de mal que de bien à une société dont l’endurance face à la pandémie semble être épuisée.

Incertitude et irrationalité

Notre génération n’avait plus depuis très longtemps connu d’année si riche en incertitude. Ce n’est peut-être alors pas surprenant que tant de décisions, sociétales comme individuelles, aient semblé frappées d’absurdité. Une statistique parmi d’autres en atteste assez bien : les hospitalisations pour cause d’infarctus ont baissé de 30 à 40% lors des divers lockdowns imposés à travers le monde¹ ². En clair, de peur de s’exposer à un risque somme toute faible de contracter un virus comparativement peu dangereux, une personne sur trois n’a pas cherché de traitement pour des symptômes pouvant mener dans un cas sur dix à la mort sous une heure.

Cette mésestimation des risques n’est malheureusement pas l’apanage d’individus isolés et indûment paniqués. Elle prend racine dans les communications souvent orientées ou imprécises de nos institutions médiatiques et politiques et met considérablement à mal la capacité de la société tout entière à prendre les moins mauvaises décisions possibles dans une période d’incertitude extrême.

J‘en discute ici quelques exemples typiques et leurs conséquences.

Contamination par les surfaces

Coqueluche incontestée des titres alarmistes, la hantise de la contamination par les surfaces est un bon exemple d’égarement coûteux. Détecté jusqu’à 17 jours après le débarquement des passagers sur le Diamond Princess, même jusqu’à 28 jours sur l’argent liquide selon une étude australienne, l’indécrottable virus semblerait ne jamais disparaître et nous menacer tous, tout le temps, partout.

Dans les faits néanmoins, bien peu de contaminations par les surfaces ont été rapportées et le consensus semble s’établir qu’il s’agit là d’un mode de contamination marginal ³

Pourtant les protocoles de nettoyage « spécial Covid » sont maintenus partout dans l’hôtellerie ou la restauration, même à des périodes et des endroits où le virus ne circule virtuellement pas, et nombreux sont les Français encore occupés à perdre leur temps à « désinfecter leurs courses » comme cela avait été suggéré en mars. De la même manière qu’on amplifie ce type de risque, on néglige le coût de les supprimer, qui peut rapidement s’avérer lourd dans des industries aux marges parfois très réduites.

Source: Ouest-France

Pire, on limite dans l’enseignement l’accès au matériel partagé, y compris les livres, à moins d’une désinfection quotidienne à laquelle bien des établissements renoncent faute de moyens. Cela a d’ailleurs été réaffirmé aussi récemment que dans le protocole sanitaire de l’Education Nationale de novembre 2020.

Remettre en perspective les syndromes de Kawasaki

Courant mai se déclarèrent de nombreuses angoisses sur les conséquences d’une infection par le Covid-19. On apprit notamment que le syndrome de Kawasaki, une grave maladie infantile potentiellement mortelle, était en recrudescence de 497%. Quatre cent quatre-vingt-dix-sept pourcents !

Cette bourrasque de panique, en pleine controverse sur la cruciale réouverture des écoles, n’avait pourtant que peu de raisons d’inquiéter. Non pas que les rapports aient été nécessairement erronés, puisqu’il semble bel et bien y avoir un lien causal entre les infections au Covid-19 et la maladie de Kawasaki. Non, le problème est plus subtil, et fort courant lorsque la presse rapporte des résultats scientifiques : la taille des effets n’est que rarement remise en perspective, et dans les cas où elle l’est effectivement, cela ne prive pas les journalistes de se fendre de titres alarmistes.

Si ce devait être fait, il faudrait pointer du doigt qu’il s’agit d’une pathologie rare : de l’ordre de 500 à 1000 cas par an chez les enfants de moins de 5 ans, avec une mortalité estimée de 0.2%, soit un à deux décès annuels. Même dans l’hypothèse où l’augmentation de 500% serait confirmée, l’impact total sur la mortalité infantile serait de l’ordre de 10 décès par an pour les enfants de moins de 5 ans.

C’est beaucoup, mais c’est aussi comparativement peu. Ces dix décès, bien sûr seraient autant de drames. Il est cependant crucial de les remettre en perspective. La meilleure façon de le faire est probablement de les comparer avec d’autres causes de décès qui, elles, ne suscitent pas d’inquiétude particulière. Chaque année, de l’ordre de 80 à 100 enfants de moins de cinq ans décèdent des suites de maladies infectieuses. Ils sont une trentaine à mourir dans les transports, vingt-cinq à passer par une fenêtre et mourir.

Ces risques bien réels sont intégrés dans notre inconscient, et il ne nous vient pas en tête de bouleverser nos enfants et notre société en fermant les écoles pour les en préserver.

Est-ce à dire que l’information sur une probable surabondance de maladies de Kawasaki soit inutile ? Ou qu’il faille l’ignorer ? Certainement pas, mais une diffusion responsable de cette information se réserverait aux praticiens médicaux, et se garderait de l’amplifier aux yeux du grand public.

C’est d’autant plus essentiel que la validité scientifique d’une étude donnée est souvent délicate à établir, plus encore dans le cadre d’une épidémie émergente, comme la navrante saga de l’hydroxychloroquine l’a démontré à ceux qui n’en auraient pas été convaincus.

De l’importance de la priorisation

Lors de son adresse du 28 octobre dernier, le Président Macron a malheureusement choisi d’entériner une communication déjà floue.

[Notre premier objectif c’est de] protéger les plus âgés […]. Notre deuxième objectif c’est de protéger les plus jeunes.
Je l’ai déjà dit, si le virus tue les plus âgés, il tue aussi, même si c’est plus rare, les plus jeunes.
Aujourd’hui, au moment où je vous parle, 35% des personnes en réanimation ont moins de 65 ans. Il touche donc sous des formes graves, toutes les générations.

Les chiffres du Président sont bien entendu techniquement justes. Mais les présenter comme s’ils étaient représentatifs du danger réel confine à mon sens à la malhonnêteté intellectuelle. La répartition de la population en réanimation par classe d’âge est mieux communiquée par l’infographie suivante :

L’intention du président semble limpide : épouvanter les jeunes, qui seraient principalement en cause dans la propagation du virus, en espérant qu’ils appliquent mieux les règles de distanciation sociale. Leur faire comprendre que c’est pour leur propre bien, puisqu’ils se révèlent apparemment trop égoïstes. Aussi, si la statistique choisie par Macron avait été « 2% des personnes en réanimation ont moins de 40 ans », l’impact eût forcément été moins fort…

A supposer que les prémisses de ce raisonnement soient correctes et que les jeunes soient un important vecteur de contagion, il subsiste deux problèmes. D’abord, et parce que les jeunes sont précisément peu grièvement touchés, il ne semble pas absurde de penser que la sortie de la crise sanitaire passe justement par l’infection « privilégiée » de cette population, au bénéfice de la population à risque. C’est la même thèse qui sous-tend la proposition de “confinement des personnes vulnérables”, qui ne parvient guère à percer dans le débat public.

Ensuite parce que même sans admettre cette idée il est clair que mettre virtuellement au même rang des objectifs de la Nation « protéger les plus âgés » et « protéger les jeunes » ne rend absolument pas compte de la colossale différence de pronostic. Cela peut amener bien des personnes à prendre des mesures indues pour leur propre sécurité sans en prendre davantage vis-à-vis des plus vulnérables.

Les personnes de 70 ans ont environ 100 fois plus de chances de décéder que celles de 30 ans. Source : Nature

L’attitude visant à mettre sur un même plan et supprimer tous les risques se heurte finalement à une limite pratique : passé un certain nombre de restrictions, l’ajout de chaque contrainte supplémentaire, volontaire ou forcée, va nécessairement impacter la bonne observance des autres mesures. Il devient alors essentiel de comprendre ce qui est prioritaire et ce qui est superflu.

On peut lire dans la difficulté apparente à faire respecter ce nouveau confinement une fatigue, conséquence de la ligne de mesures quasi toujours exclusivement incrémentales qui a été celle du gouvernement depuis le dé-confinement. A des mesures essentielles (interdiction des rassemblements de plus de X personnes en intérieur, télétravail…) se sont ajoutées des mesures probablement utiles (masque dans les commerces, dans les transports…) et enfin d’autres tout bonnement absurdes (fermeture des espaces verts, des plages, port du masque en extérieur au cours préparatoire…)

Le contrecoup de l’infantilisation ?

Il aurait probablement été utile de revenir humblement sur certaines directives et de laisser leur application à la discrétion des Français. Il est par exemple clair que les bénéfices du masque en extérieur sont au mieux très modestes. En supprimer l’obligation dans nos grandes (et moins grandes…) villes permettrait certainement d’affirmer plus clairement que c’est en intérieur qu’ils prennent tout leur sens, et peut-être d’améliorer l’observance dans ces situations, voire même au sein du foyer.

Un peu d’humilité épistémique et de lest lâché aux moments le permettant auraient peut-être également amélioré l’efficacité de ce nouveau confinement, qui semble à en croire les témoignages bien plus contesté que le premier, d’abord par les nombreuses grandes entreprises refusant le télétravail total.

La volonté de minimiser certains risques est trop souvent associée à une idéologie libertaire méprisant le risque pour la vie humaine. J’aime au contraire à croire qu’une communication la plus claire et réaliste possible participerait mieux aux objectifs de la Nation que la soupe infantilisante qu’on nous sert toutes les deux semaines en guise de nouvelles mesures sanitaires.

[1] Michail I. Papafaklis MD, PhD Christos S. Katsouras MD et al. “Missing” acute coronary syndrome hospitalizations during the COVID‐19 era in Greece
[2] Erik W. Holy, Philipp Jakob, Robert Manka, Barbara E. Stähli Impact of a nationwide COVID-19 lockdown
[3] Mario U Mondelli, Marta Colaneri Low risk of SARS-CoV-2 transmission by fomites in real-life conditions
[4] Juan Luis Rodriguez Tudela, Donald C Cole et al. Exaggerated risk of transmission of COVID-19 by fomites
[5] Maria Chikina ,Wesley Pegden, Modeling strict age-targeted mitigation strategies for COVID-19

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Sylvain Ribes

Ancien trader, ancien joueur de poker , sur Twitter @ArtPlaie